Femme allongée dans un style pictural renaissant, elle pète et des chérubins font des bulles de savon avec ses gaz

La souffrance de péter

Il est de ces maladies sérieuses qui inspirent le respect. Chaque pathologie véhicule ses propres représentations collectives et individuelles et certaines sont plus reluisantes que d’autres à évoquer en société, n’est-ce pas ? La colopathie fonctionnelle à coup sûr serait dans le top 3 des diagnostics qui prêtent à sourire.

« Ah oui, tu pètes comme une trompette, c’est sûr, ça doit pas être facile à vivre tous les jours ». (Petit sourire en coin.)

Le registre lexical de la défécation, de la fonction excrémentielle et des gaz serait, dixit la linguiste Catherine Rouayrenc, auteur de l’ouvrage « Les gros mots » (PUF) un des trois champs lexicaux (avec la sexualité et la religion) les plus générateurs de tabou et donc…de jurons et leur corrolaire, de plaisanteries.

Ou dans un français moins alambiqué : les prouts font rire.

Dramatiquement rire.

Jusqu’à 40 fois par jour pour certains petits chanceux d’entre nous.

Mais les meilleures blagues étant les plus courtes, il y a de quoi perdre son sens de l’humour à la longue.

Le parcours diagnostic du syndrome de l’intestin irritable implique d’avoir en premier lieu écarté d’autres pathologies graves dont les manifestations se recoupent avec celles du SII, douleurs, ballonnements, diarrhées, constipation notamment.

Une fois les diagnostics de maladie de Crohn, de maladie cœliaque, d’endométriose de diverticulites ou encore de cancer soigneusement écartés, un médecin peut alors prudemment avancer que le patient ne souffre probablement que de colopathie fonctionnelle.

Un air de diagnostic par dépit.

Loin de moi l’idée de minimiser la souffrance de péter, ou de suggérer l’idée de hiérarchie dans la souffrance.

Au contraire j’essaie de retranscrire le parcours douloureux type de quiconque s’est vu diagnostiquer un intestin irritable :

un parcours statistiquement long de plusieurs années, à tâtonner, à essayer différents régimes, à souffrir socialement, à placer ses espoirs dans des culs de sacs, de fausses promesses charlatanesques.

Pour finalement recevoir ce diagnostic de SII qui peut être perçu comme un pis-aller, comme décevant,

  • se faire dire de façon scientifique : »vous avez mal au ventre et vous avez des gros gaz ».

Tout ça pour ça. Presque du vent.

Je pète un peu pour ma paroisse, étant moi même des deux côtés de la barrière intestinale : malade et professionnelle de santé, j’en ai tellement chié, j’aurais cru avoir une pathologie plus…reluisante.

Et non.

Je suis affublée d’une maladie du caca-prout tagada tsoin-tsoin.

Je me permets à ce stade une remarque tout à fait empirique et issue de mes observations, lesquelles sont probablement biaisées par mon point de vue.

N’avez vous jamais remarqué comme les personnes souffrant de maux de ventre et autres borborygmes étaient des personnes qui avaient souvent developpé un sens de l’humour féroce ? Comme si il en fallait pour assumer l‘indignité de cette façon de souffrir. 

Cette affection chronique vous fait donc violence de deux façons :

  • dans vos tripes
  • et dans la représentation quasi comique qu’elle véhicule.

Contrairement aux oignons, ce n’est pas une maladie qui fait pleurer dans les chaumières. (Elle ferait davantage péter dans les chaumières.)

Et pourtant, les études sont sans appel :

les personnes souffrant du syndrome de l’intestin irritable sont à risque majoré de souffrir de comorbidités dépressives et/ou anxieuses tout comme on observe un lien de causalité entre SII et risque suicidaire.

Je vous épargne une grande tirade sur le lien intestin-cerveau, le sujet commence à être déblayé, sans qu’on ne sache encore bien le sens de circulation des phénomènes observés (cause/conséquences, causalité/corrélation ?)

Et peut-être finalement que les représentations linéaires dont nous disposons habituellement pour nous figurer les choses sont des outils relativement trop peu complexes et donc imparfaits à offrir des représentations fines de ces phénomènes qui comportent probablement des boucles rétro-actives. (à lire deux fois très vite sans reprendre son souffle).

Quoi qu’il en soit, nous en sommes encore aux balbutiements de notre compréhension du microbiote, et de sa façon de produire du vent en dedans de nos tuyauteries.

La diététique est encore un art à l’état gazeux, pour paraphraser Yves Michaud. (aux éditions Fayot évidemment.)

850 589 Julie Autier